Chronique de Pleudaniel (1914-1918)

De Les Côtes-d'Armor dans la Grande Guerre


Sommaire

Ordre de mobilisation

Pleudaniel, le 1er Août 1914. – (17h).
Un gendarme, à bicyclette, apporte l’ordre de mobilisation. On s’y attendait. On l’entoure. Le tocsin sonne ! En un instant une foule se masse sur la place du bourg. L’émotion est indescriptible ! Plusieurs femmes pleurent !
Je pars avec quelques autres cyclistes placarder les affiches dans les villages, expliquer le fascicule du Livret militaire relatif à la Mobilisation et encourager tout le monde.
Tous ceux qui sont appelés à partir restent calmes : « On partira demain ! » disent-ils simplement. Ils rassurent eux-mêmes leurs familles
Quelques vieux ne trouvent pas immédiatement leur livret mais ils se rappellent bien l’ordre du fascicule.
Avant la nuit tous les intéressés sont avertis, chacun sait quand il doit partir et où il doit aller.
Ce qui frappe le plus c’est le calme, la résignation, le sang froid des réservistes appelés.
Jour inoubliable !

L’instituteur
Le Jouan

L’Armistice (Fausse nouvelle).

Pleudaniel, le 8 novembre 1918
Avant 8 heures, un élève annonce qu’il a vu le train pavoisé. A la poste on dit que Tréguier et Lannion sont en fête. Tout le monde croit à la « bonne nouvelle »
Immédiatement Monsieur le Recteur et quelques habitants s’empressent de sonner les cloches à toute volée. Tout le bourg s’anime. On accourt de toutes parts, la joie est indicible.
J’improvise une petite manifestation.
Avec mes élèves, drapeau en tête, je défile dans les rues en chantant la Marseillaise. Quelques jeunes personnes nous accompagnent.
Pendant ce temps-là les maisons se pavoisent. Mme Le Jouan et Mme Libouban, mes adjointes, vont me préparer un joli bouquet.
A mon retour, la foule est compacte sur la place. Je conduis les élèves au pied du monument érigé aux Victimes de la guerre, j’y dépose le bouquet et notre drapeau. Puis, en quelques mots je rends hommage à la bravoure de nos chers morts dont plusieurs ont été mes élèves. L’émotion m’étreint !
Je cite ces victimes du devoir comme exemple aux enfants présents, à qui je recommande de bien entretenir plus tard le monument, en témoignage de reconnaissance envers les braves dont les noms, en lettres d’or, sont gravés dans la pierre. Les larmes coulent !
La foule tout émue se disperse ensuite, pendant que recommencent les sonneries de cloches un moment interrompues.
Le reste de la journée se passe dans le calme, mais la joie se lit dans presque tous les yeux, la fin de la « boucherie » fait l’objet de toutes les conversations.
Aucun télégramme n’étant parvenu avant le soir, un certain doute règne chez nous « Pourvu que ce soit vrai ! »
Néanmoins les illuminations ont lieu comme c’était convenu.

L’instituteur
Le Jouan

L’Armistice. (Nouvelle officielle)

Pleudaniel, le 11 Novembre 1918
A midi et demi un télégramme officiel annonce enfin que «  l’armistice est signé !».
Monsieur le Maire m’en avise. Je grimpe lestement au clocher, et, a mon tour, par sonnerie de cloches, j’averti la population de l’heureuse nouvelle (bien vraie cette fois). En un instant une foule se trouve massée sur la place. Les maisons sont pavoisées. Aujourd’hui, les élèves de toutes les écoles (publiques & privées), drapeau en tête, circulent dans les rues en chantant la Marseillaise.
Le cortège grossit rapidement, les élèves sont en rang. Maîtresses et maîtres les guident dans leur ... Les grandes personnes, très nombreuses, suivent bras dessus bras dessous.
On se rend aux villages voisins : au Calvaire, à Camarel jusqu’à « la vieille église ». Là, halte ! les enfants se reposent, les femmes entrent dans la chapelle et entonnent des cantiques. A leur sortie tous les élèves ... (... en guise de répétitions) chantent en chœur : « Aux morts pour la patrie » de Bouchez.
Quand nous rentrons au bourg , on peut à peine circuler sur la place. Le cimetière est noir de monde. On me demande de parler.
Comme vendredi dernier, au pied du monument orné de drapeaux et de fleurs. Je rappelle que c’est au prix du sang, ou plutôt de la vie de plus d’un million de braves Français (dont 54 de Pleudaniel !) que nous avons acquis la Victoire, et, comme Victor Hugo j’ajoute « Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie
« Ont droit qu’à leur cercueil on vienne et prie.
« Entre les plus beaux noms, leur nom est le plus beau.
« ... Gloire à notre France immortelle !
«... Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Tout le monde est ému !
Les enfants des trois écoles chantent ensuite en chœur « Aux Morts pour la Patrie.
On se sépare alors aux cris de « Vive la France ! »
Tous les travaux sont suspendus. Un bal public est vite organisé dans le Champs de Foire. Les cloches sonnent jusqu’à 18 heures.
De jolies illuminations terminent cette fête inoubliable !

L’instituteur
Le Jouan

Acceptation des Propositions de paix

Pleudaniel, le 24 juin 1919.
Les propositions de paix sont acceptées !
Monsieur le Maire me communique le télégramme officiel l’annonçant.
Cette fois c’est bien la fin de la Guerre.
La nouvelle se répand très vite. Les cloches sonnent à toute volée comme pour l’armistice. Les élèves sont encore congédiés. On ne pourrait travailler aujourd’hui.
Les maisons se pavoisent. Les travaux sont immédiatement arrêtés, même aux champs. On s’apprête à s’amuser après-midi.
Les cloches sonnent toujours. Ce sont des jeunes gens qui s’en chargent. On leur apporte du cidre en haut du clocher.
Après midi Foule sur la place et le champ de foire. La gaîté est indescriptible.
A 14 heures les danses commencent. Elles dureront jusqu’à deux heures du matin. Quelle affluence de danseurs et de spectateurs !
On organise aussi un jeu de boules. J’y prends part.
Jusqu’à ce moment les cloches ont sonné.
Ce soir, illuminations habituelles.
Avant de se séparer, on se donne rendez-vous pour la Fête de la Victoire.
Quelle bonne journée!
L’instituteur
Le Jouan

Fête de la Victoire

Pleudaniel le 20 juillet 1919
Hier, installation sur le champ de foire de nombreux mâts surmontés de pavillons tricolores, et aussi d’une petite estrade bien ornée de guirlandes.
Les dispositions sont prises également pour le feu d’artifice ... dont on attend encore les pièces.
Aujourd’hui la fête commence à 14 heures. Le temps est beau. Les maisons sont pavoisées. Nombreuses sont les distractions :
Courses diverses
1° à bicyclette, course communale, course cantonale
2° à pied, pour les enfants
3° en sac……… (Très amusant)
- jeu de la crêpière ; exercice du baquet
Pendant ces courses et jeux qu’une foule joyeuse suit, le concours de boules à lieu. Les joueurs très nombreux, ont formé deux jeux. La partie est vivement disputée, les gagnants la terminent avec un point d’avance seulement sur les perdants.
A ce moment arrive le musicien « communal » : le joueur d'accordéon. Il se dirige vers l'estrade. Bientôt la danse commence.
Quel entrain !
Plusieurs « poilus « et marins, démobilisés ou en permission, jouissent de leur liberté et « tourbillonnent » à qui mieux mieux. Leurs visages et leurs éclats de rire témoignent de leur bonheur. Pour eux c’est bien la fête de la Victoire.
On remarque aussi de très nombreux étrangers.
Une bande de marins de l’escadrille des dragueurs de Cherbourg arrivent de Lézardrieux en chantant. On les entoure, les « matelots » s’amusent et prennent part aux danses. Leurs chefs se contentent d’y assister en spectateurs.
Voici deux cyclistes qui retournent de la gare : Pas de feu d’artifice. Quelle contrariété ! La nouvelle se répand très vite. La gaîté disparaît un instant.
Mais, ce n’est que partie remise au 15 août. La fête de ce jour se terminera par un feu d’artifice. A cette nouvelle, l’entrain reparaît.
Ce soir illuminations. Le champ de foire, l’estrade, de nombreuse maisons sont bien éclairées.
La foule est toujours considérable et très gaie.
Dans les auberges, beaucoup d’animation, mais pas de désordre.
A 2 heures du matin, le bal est terminé. La fête de la Victoire est finie. On s’est bien amusés.
Malheureusement on a oublié les « braves poilus » et les victimes de la guerre. L’instituteur
Le Jouan

Transcription par Anne Avril (CG22/2003)

Sources

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