Chronique de Plouézec (1914-1918) : Différence entre versions

De Les Côtes-d'Armor dans la Grande Guerre
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[[Plouézec]], 11 juillet 1919
 
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[[Fichier:Mort-au-boche.jpg|200px|thumb|left|Une carte postale de 1915 mettant en scène le sentiment patriotique chez les petits Français. © Creative commons]]
 
C'était en juillet 1917. Cette année-là, qui était donc la troisième de la guerre, amena dans notre commune un événement vraiment sensationnel, ce fut l'arrestation d'un soi-disant espion boche, dans tout son cortège de détails savoureux.<BR>
 
C'était en juillet 1917. Cette année-là, qui était donc la troisième de la guerre, amena dans notre commune un événement vraiment sensationnel, ce fut l'arrestation d'un soi-disant espion boche, dans tout son cortège de détails savoureux.<BR>
  

Version du 4 février 2014 à 18:05

Plouézec, 11 juillet 1919

Une carte postale de 1915 mettant en scène le sentiment patriotique chez les petits Français. © Creative commons

C'était en juillet 1917. Cette année-là, qui était donc la troisième de la guerre, amena dans notre commune un événement vraiment sensationnel, ce fut l'arrestation d'un soi-disant espion boche, dans tout son cortège de détails savoureux.

Plouézec est ordinairement calme, il n'y a vraiment que Messieurs les gendarmes qui oseraient contredire à cette affirmation, étant toujours plus occupés ici que dans le reste du canton. Enfin, disons que les habitants, dignes descendants des marins héros de jadis, sont de fervents patriotes. Chacun sait que durant cette terrible guerre, le pur patriotisme se traduisait en premier lieu par la haine du boche et sa destruction sous quelque forme qu'il se trouvât, eût-il été Dieu le père en personne, ou même en trois personnes ainsi qu'il est dit.

La forme espion étant la plus mystérieuse et par conséquent la plus malfaisante, était dans notre pays la plus commune, elle était même terriblement commune, on en avait la hantise, les figures les plus familières elles-mêmes osaient parfois devenir suspectes. Toutes les nuits des trépidations d'autos ravitailleuses de sous-marins s'entendaient, des signaux lumineux couraient comme de grands follets sur les grèves de Kérity, autour de l'abbaye de Beauport et dans la "villa des pins" sise au milieu de ce délicieux petit bois qui domine la vallée de Beauport.

Des personnes attardées avaient rencontré à minuit, non pas des korrigans comme on pourrait le croire, mais des espions boches déguisés en religieuses. Les gens de Plouézec savent bien que l'habit ne fait pas le moine. Ces histoires de brigands couraient le pays, soigneusement entretenues par les laveuses sur les "douais". Les esprits en étaient à ce point d'excitation, quand au mois de juillet de la même année éclata comme la foudre la grande nouvelle : on venait d'arrêter un espion déguisé en femme prenant des notes et des croquis autour du sémaphore de Bilfot qui domine et commande toute la baie de Paimpol.

L'espion-femme fut annoncée de loin par un ensemble de cris qui n'avaient rien d'harmonieux, il passa tout à coup escorté sous le soleil de midi par une foule hurlante de gamins mal mouchés et de mégères armées de fourches et de bâtons; deux douaniers en uniformes et baïonnette au canon protégeaient la prisonnière des coups, mais non pas des insultes. Les propos avant-coureurs nous avaient fait un horrible portrait de l'espion supposé, une figure horrible, des pieds gigantesques, des mains velues, naturellement la réalité était toute autre.

La femme en grand deuil qui passa était en effet de haute taille et d'âge mûr, la physionomie était ordinaire, l'expression en était très calme et même triste, nullement intimidée.

La prisonnière fut conduite à la mairie où on la fouilla, on trouva sur elle des bons de la défense nationale, aucune note ni croquis ni papier d'identité, on loua d'urgence un char à banc dans lequel l'espion supposé devait se rendre à la gendarmerie de Paimpol, en route l'équipage rencontra les gendarmes qui revinrent avec la prisonnière et la sommèrent de donner ses noms et qualité. Elle déclara être la veuve du Général de Pandézec mort l'année précédente, avoir loué à St-Quay pour la saison et visiter la côte à pied pour son agrément. Elle s'était arrêtée au dessus de Porz-Lazo, à la corniche d'où l'on découvre toute la baie : Kérity dans ses verdures, les grèves de Guilben aux courbes molles, Ploubazlanec et le petit village de Porz-Even égrenant au flanc du coteau ses maisons blanches qui rient au soleil, Bréhat au loin dans la splendeur de ses granits roses, enfin toutes les anses, baies et criques où la mer se brise de Paimpol à St-Quay. Le soleil de juillet faisait de tout cela une féerie qui enchantait sa promenade solitaire et contemplative. Les enfants du village surpris de voir cette femme seule rôdant autour du sémaphore l'avaient appelée boche, sans doute avait-elle négligé de répondre à l'injure, les gens s'en étaient émus, les douaniers eux-même certains de faire leur devoir avaient arrêté l'imprudente; de la voir entre deux représentants de l'autorité, les rudes habitants de Larmor n'avaient plus douté qu'elle ne fût coupable de tous les crimes et voilà comment la pauvre femme fut victime de la plus désagréable des mésaventures.

On téléphona à St-Quay pour renseignements, ceux-ci parvinrent le soir, trop tard pour que Mme de P. pût reprendre le train de Plouha, elle se trouva donc obligée de rester à l'hôtel jusqu'au lendemain, où enfin libre elle quitta Plouézec pour des cieux plus hospitaliers.

En résumé, des injures qui s'arrêtèrent tout juste aux voies de fait, des frais d'hôtel et de voiture, la crainte que l'aventure ne s'aggravât encore de la prison, voilà ce que la hantise des espions ennemis fût cause qu'on infligeât à une personne sans doute fort respectable et qui avait payé son tribut au malheur de la guerre.

Ceci prouve une fois de plus avec quelle facilité s'enflamment les foules, de quelles injustices elle sont capables, quels sentiment tumultueux autant que primitifs et spontanés elle expriment, on en demeure confondu.

Les habitants de Plouézec n'aiment pas qu'on leur vante leurs prouesses policières, leur amour-propre très spécial ne se console pas d'avoir fait du mauvais travail, toutefois cette aventure eut du moins le résultat de calmer cette peur exagérée de l'espion. Les lueurs fugitives dans la nuit s'éteignirent, les autos mystérieuses et les sous-marins fantômes disparurent, il n'y eut plus que le tintement des glas, hélas trop souvent répété qui vint rappeler chez nous les cauchemars de la guerre.

Sources

On ne trouve pas de général de Pandézec décédé en 1916 sur le WEB, par contre on trouve mention du général Pendezec, né à Loudéac et décédé en 1913.


--Jylaigre (discussion) 23 janvier 2014 à 15:37 (CET)

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