Célestin TIENGOU (1897-1964)
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Portrait et vie d'une gueule cassée
En construction -attente de l'accès au feuillet matriculaireJe m'appelle Louis TIENGOU, j'ai maintenant 80 ans, et, j'accepte volontiers de vous parler de mon père Célestin TIENGOU.
J'ai encore un souvenir très précis et suis bien sûr le témoin direct avec mon frère Francis de la vie d’une « gueule cassée » après son retour de guerre...
Ils n'ont pas été reconnus comme invalides par l'état français car il leur restait leurs mains et leurs jambes pour travailler.
Ils étaient cependant faiblement pensionnés car leur état de santé et leur suivi médical ne leur permettaient cependant pas d'accomplir n'importe quel travail.
Le début de l'histoire
Elle débute comme tant d'autre à la campagne des Côtes du Nord.
Célestin TIENGOU nait à PLUMAUDAN le 6 novembre 1897 de Louis Marie TIENGOU et de Eugénie Elisa LECUYER, agriculteurs, mariés à PLUMAUDAN le 4 juillet 1893.
Ceux-ci auront 3 enfants : Aristide (1895-1895), Clémentine (1896-1897) et Célestin (1897-1964); les deux premiers décèderont très jeunes.
TIENGOU Louis Marie (1795-1933) | LECUYER Eugénie Elisa (1870-1911) | LEFEUVRE Eugène Marie Joseph (1875- ????) | CHARTIER Anne Marie (1875-????) | ||||||||||||||||||||||||||||||||
TIENGOU Célestin (1897-1964) | LE FEUVRE Anne Marie (1901-1982) | ||||||||||||||||||||||||||||||||||
TIENGOU Francis né en 1930 | TIENGOU Louis né en 1933 | ||||||||||||||||||||||||||||||||||
Célestin suit des études primaires à l'école de la commune de Plumaudan et obtient son certificat d'étude en 1908 reçu premier du canton).
Il travaille à la ferme familiale jusqu'à son appel sous les drapeaux en 1916. Recruté au bureau de Saint Malo sous le matricule 296 classe 1917.
Il est affecté au 36e régiment d'infanterie qui participe aux combats à Verdun, le Fort de Vaux, la Côte 304 et enfin en août 1918 dans la Somme où il est agent de liaison.
Il a alors 21 ans.
Dans la tranchée sur le front
Une attaque se prépare pour le lendemain matin 5h30. Il faut en informer la tranchée suivante qui se trouve à un kilomètre.
Un premier agent de liaison est tué en tentant de l'atteindre.
Un second part et est légèrement blessé, lève les bras, se déséquipe et revient les bras en l'air vers son poste ; les Allemands l'épargnent.
Un troisième est tué.
Le chef de poste donne alors l'ordre à Célestin de prendre la suite : "il a compris … il est foutu lui aussi".
Il n'imagine cependant pas de refuser l'ordre et l'exécute.
Il réussit en rampant à atteindre l'autre tranchée et apporter le pli pour transmettre les ordres.
Le chef de poste de cette seconde tranchée lui demande de ne pas repartir car il doit se considérer comme miraculé.
Mais Célestin veut accomplir sa mission jusqu'au bout : il doit retourner pour confirmer au "vieux" que l'ordre a été transmis.
Les coudes et genoux de son équipement sont déchirés, il ne peut plus ramper ; il décide de repartir en sautant d’un trou d’obus à l’autre. Lors du troisième saut, un tir l’atteint derrière l’oreille gauche, la balle ressort par l’aile gauche du nez.
Il est 16h30 ; il tombe la tête la première dans le trou d’obus qu’il cherchait à atteindre.
Le chef de poste, à la longue vue, l’ayant vu tomber, dit qu’il est mort, aussi, personne ne bouge…
Il se redresse dans la nuit, perd connaissance à plusieurs reprises.
Le lendemain, lors de la fameuse attaque, entendant des voix, il réussit à appeler au secours. Ses collègues sont surpris de le retrouver vivant. Avant qu’il ne tombe dans le coma, les brancardiers le prennent en charge.
Il est emmené à l’hôpital de Beauvais.
Il est l’un des plus grands mutilés de la face de l’hôpital (les autres ne survivront pas…)
Entre les mains de la médecine
Deux chirurgiens le prennent en charge ; il sera opéré sept fois !
- - Chirurgie réparatrice : un greffon, issu de la fesse, est écussonné, sur le front (image N°01) ; trois semaines immobilisé dans le lit, bras en l’air, perfusé, alimenté par sonde.
- - Un morceau d’os est prélevé dans une côte pour refaire le nez (image N°02).
- - Façonnage du greffon sur le nez.
- - Impossibilité de refaire fonctionner la narine.
- - L’un des deux chirurgiens lui coud l’œil lors de l’une des opérations, sans lui demander son avis. Au réveil, Célestin désapprouve cette initiative ; le second chirurgien le découd ; le premier l’avertit qu’il le regrettera toute sa vie.
Sa convalescence se fait au Val de Grâce (?) à Paris
Durant celle ci, il bénéficie, avec d’autres, de visites d’une veuve de général belge qui agrémente leur séjour par des chocolats et autres, et des visites guidées dans Paris.
Il rentre chez lui en Bretagne fin 1919 – début 1920 (image N°03).
Sa paupière inférieure est immobile, son œil malade sera toujours sec, il n’a que 1/10ème de vue, il est sourd d'une oreille, il souffre de maux de tête permanents, d'otite chronique ; la mastoïdite est cependant évitée car les otites s’écoulent soit par l’oreille, soit par l’œil
Il devra suivre des soins ORL réguliers toute sa vie.
Retour à la maison
Il fait la connaissance d'une jeune femme – Anne Marie LEFEUVRE - elle aussi pleurant un fiancé disparu durant la guerre. Ils se marient le 27 octobre 1925 à CAULNES.
Il ne souhaita pas de photo de mariage !!!!
Ils seront agriculteurs au village de Coatauvé en Yvignac, dans une ferme de "deux chevaux", puis au Maizeray (Image N°07), en Plélan-le-Petit de 1935 jusqu'à son décès en 1964.
Ils auront deux garçons Louis et Francis.
Célestin raconte les évènements de la guerre (la blessure et toutes les autres batailles) à son épouse, puis à nous, ses enfants.
Au début, Célestin ne veut pas sortir, se montrer, puis, la vie reprend son cours. Il restera cependant contrarié par les jalousies relatives à sa pension de guerre !
Célestin Tiengou aura une vie "normale" d’agriculteur, avec des maux de tête permanents et un traitement continuel au Gardenal.
Il est mort à l’âge de 67 ans.
Conclusions
Célestin n’a jamais développé d’animosité envers qui que ce soit.
Lors de la seconde guerre mondiale, les occupants Allemands voyant ses décorations à la maison (Croix de Guerre 3***, Médaille Militaire, Officier de la Légion d'Honneur) lui ont témoigné du respect
Son épouse cependant a été plus amère. Elle a fait l’objet, plus que lui, de remarques déplacées, et a ressenti plus douloureusement les commentaires sur l’aspect de son visage. Lui, les entendait moins du fait de sa surdité partielle. Elle veillait scrupuleusement et en permanence à maintenir ses décorations sur le revers de son veston.
Les enfants se souviennent de la jalousie des gens du voisinage de la réussite familiale, qu'ils attribuaient à la pension (si maigre pourtant) qu'il touchait
Nous autres, enfants nés de père handicapé, défiguré, n'avons jamais remarqué ce handicap et, plus tard nous avons été fiers de notre père et de sa bravoure.
Propos et documents recueillis par Daniel Coulombel auprès de Louis Tiengou. Compléments administratifs et mise en forme par Yves Gérault