Chronique bréhatine (1914-1918)

De Les Côtes-d'Armor dans la Grande Guerre

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Sommaire

La vie quotidienne à Bréhat

Rédigé par LE JORT, instituteur le 26 juillet 1919
2 août 1914
Le tocsin sonne vers 16h. roulement de tambours - un gendarme apporte à la mairie la nouvelle de la mobilisation - foule sur la place du bourg - lecture des affiches - grand émotion. Les hommes le visage assombris disent : ça y est, il fallait en arriver là, on fera son devoir. Quelques femmes pleurent, lais pas de récrimination, elles sont résignées. Tout le monde est prêt au sacrifice pour la patrie.

3, 4, 5 et 6 août et suivants
300 territoriaux environ arrivent. Les vedettes de MM. Colin et Kerjolis sont réquisitionnées, l'une pour le transport des troupes et des civils, l'autre pour le ravitaillement de l'île. Les soldats occupent sans difficulté les maisons qu'on leur a désignées. Les bréhatins les reçoivent avec une grande affabilité. La maison d'école des garçons est également prise. Je me mets à la disposition du maire et vais travailler à la mairie du matin au soir. Les membres de la municipalité sont restés à leur poste; l'administration de la commune n'a point souffert. Les touristes sont invités à quitter l'île car on craint de manquer d'approvisionnement. Seuls peuvent rester ceux qui ont une propriété à Bréhat. Réquisition des charrettes pour transporter les fourrages destinés aux bestiaux destinés à la garnison.

Tous les soirs le public, très nombreux, commente les affiches. La joie a été grande lorsqu'on a appris la neutralité de l'Italie, plus grand encore lorsqu'on apprend la déclaration de guerre de l'Angleterre à l'Allemagne. Bien que la population de Bréhat, presque exclusivement maritime ait conservé jusqu'en août 1914 de l'antipathie et de la défiance contre les anglais (Leur île a été ravagée par eux à différentes époques de notre histoire et puis les anglais n'ont pas été tendres avec les bréhatins faits prisonniers et envoyés sur les pontons sous le 1er empire), elle apprécie à sa valeur l'appui de la flotte anglaise dont elle reconnait l'incontestable supériorité. La joie devient du délire "Maintenant que nous avons les anglais pour nous, nous sommes sûrs de la victoire finale"
Personne ne peut quitter l'île sans un passeport en règle. L'ordre nulle part troublé - régime sévère des débits - plus d'ivrognes.

Fin août
Nos premiers revers en Belgique, notre retraite en France causent une déception, un peu de tristesse, mais ne démoralisent point la population. Des bruits pessimistes arrivent de dehors : nous manquons de tout, d'armes de munitions, de vêtements pour habiller nos soldats - on a fait trop de politique - on parle de trahison de nombreux généraux et officiers supérieurs qui auraient été fusillés.

Septembre
La bataille de la Marne suscite un enthousiasme extraordinaire et en croit en la fin de la guerre. Rien de saillant dans l'île. Comme le transport des civils de Bréhat à Paimpol et réciproquement est gratuit, les vedettes sont journellement chargées de monde, beaucoup de gens se paient un voyage d'agrément aux frais de la princesse. L'intérêt personnel ne perd jamais ses droits.
On n'a point reçu de nouvelles de Sylvain MENGUY depuis le 7 ou 8 août, les parents le croient prisonnier.

Octobre
Le 30 octobre on apprend la perte de Yves HEURTEAUX, tué à bord du Mousquet le 26 dans les mers des Chine. Ce jeune homme d'un naturel doux, timide même, est tombé en héros. De nombreux opuscules, de nombreux journaux ont relaté ces propos du héros bréhatin : Canonniers à vos pièces et visez juste et à l'instant même il tombe déchiqueté par un éclat d'obus lancé par un sous-marin boche.
La résistance héroïque de nos fusiliers-marins sur l'Yser nous apporte, à nous Bréhatins, une nouvelle gloire. C'est à Dixmude que François ALLAIN a reçu la médaille militaire. Caché à 3 ou 4 dans un grenier de paille où viennent s'ébattre les boches, il en sort au moment favorable, tue à coups de révolver une sentinelle puis un officier allemand qui s'opposaient à son passage, rentre dans les rangs français après avoir traversé le fleuve à la nage, communique à ses chefs des renseignements précieux sur l'ennemi. Il est hautement félicité puis décoré. Un des camarades d'ALLAIN, Émile BOCHER se trouve également à Dixmude comme fusilier-marin et obtient la croix de Guerre.

Novembre - décembre
Départ successif des territoriaux - plus d'exercice - plus de revues - place du bourg désormais morne. Le ravitaillement se fait toujours régulièrement. On ne manque de rien, le charbon seul est cher, jusqu'à 14 et 15 F les 50 kgs. La main-d'oeuvre agricole est abondante. Quelques ouvriers (anciens marins retraités) et beaucoup de femmes manquent d'ouvrage. les chevaux sont enlevés petit à petit, les transports dans l'Île vont devenir difficiles.

1915

  • 15 mars 1915 - BOCHER Arthur tombe à la Sélouse.
  • 18 mars 1915 - François LE GUEN sombre avec le Bouvet aux Dardanelles.
  • 4 septembre 1915 - NICOLAS Alain est tué à Casablanca d'une chute de cheval
  • 27 septembre 1915 - PRIGENT Charles, établi à Bréhat depuis quelques années avant la guerre, travailleur modèle, devenu entrepreneur, meurt à son tour à Souain (Marne).
  • 27 septembre 1915 - Le même jour FLOURY Eugène disparaît dans la mer du Nord sur un torpilleur coulé par un sous-marin ennemi.
  • 23 novembre 1915 - TRICHET Jean-François meurt à Steenvoorde (Nord) de maladie.

1916

La foi en la victoire existe, mais diminuée, dans le civil et cependant les militaires du pays qui viennent en permission sont très optimistes, tous répètent "Nous les aurons". Des propos pessimistes, venus du dehors, ébranlent parfois la confiance de certains.
Il n'y a plus qu'un boucher, deux boulangers. Le prix des denrées augmente, il est encore supportable cependant. Les restrictions commencent, le pétrole, l'essence, le sucre se font rares. Ni le beurre ni le lait ne manquent. Grâce aux allocations, mesure démesurément critiquée et à tort car elle a puissamment contribué à maintenir le moral du militaire et de sa famille, personne ne manque du nécessaire. Il n'y a pas de misère, la main-d'oeuvre agricole diminue et renchérit. L'ouvrier agricole qu'on payait en 19+14, sans être nourri, 5F50 obtient facilement ...
En hiver la plupart des clapiers sont dévalisés - pas de vols autres - pas de rixe, d'incendie, de meurtre.
Février - Mars - avril
La bataille de Verdun nous rend haletants. Réussiront-ils à prendre cette ville, les Boches ? Les journaux sont enlevés aussitôt arrivés, on commente les événements, les figures s'assombrissent si les nouvelles sont mauvaises, s'égaient si elles sont bonnes. Nous y avons des Bréhatins qui y font largement leur devoir.
MORDELES Arsène succombe le 10 avril à Génicourt (Meuse). Venu me voir quelques temps auparavant, le dernier jour de sa permission, il me dit Ils ne nous auront jamais le Boches ! Je vous avoue par exemple que mon secteur est périlleux et que j'ai peu de chance de revenir.

30 avril : Je rencontre un de mes anciens élèves - qui a d'ailleurs survécu - et comme je lui souhaite bonne chance il me répond avec cette insouciance qui caractérise le marin ..., M. Le Jort,mourir là ou ailleurs qu'est-ce que ça peut faire ? Si je tombe à la guerre, ma mort aura été au moins utile au pays.
Nous apprenons la disparition de DRILLET Édouard, aviateur, à Corfou le 17 octobre, victime de son courage et de son audace. Descendu très bas avec l'intention de couler un sous-marin boche, celui-ci le ... , abat l'avion d'un coup de canon.

1917

Janvier
Le fils de mon voisin et ami, un de mes meilleurs anciens élèves, 1er maître à bord de la Vénus II, sombre à Milo, sur des mines, avec une partie de l'équipage. Le père, décoré de la Légion d'Honneur a fait le guerre de 1870 comme marin et volontaire sous les murs de Paris, me dit entre deux sanglots "Les scélérats, n'ayant pu avoir le père, ils ont eu le fils ! ". Celui-ci, jeune homme d'avenir écrivait quelque temps avant sa mort à son neveu "C'est pour toi, pour les enfants de ton âge, pour que vous puissiez vivre en toute sécurité, pour qu'il n'y ait jamais plus de guerre, que nous nous battons et que nous voulons triompher"
Février
Nous avons eu à déplorer la mort de Francis LE MONNIER le fils de notre maire. Envoyé quelques jours à l'arrière, au repos, avec les débris du régiment décimé, il redemande à partir peu de temps après. Blessé à Verdun, cote 304, il est d'abord amputé d'une jambe et console ses parents inquiets et chagrinés, leur remonte le moral. Il succombe peu de temps après, de l'amputation de son autre jambe.
Avril
Grand enthousiasme dans la population à la nouvelle que le Président Wilson a déclaré la guerre à l'Allemagne. Le moral remonte, on entrevoit de nouveau la possibilité de vaincre les Boches.

En 1915, la vie a de nouveau renchéri, la main-d'oeuvre devient de plus en plus rare, aucune terre ne reste cependant en friche, la moisson s'est faite normalement. Les enfants aident leurs parents. La taxe a fait ... le beurre et les oeufs qui deviennent introuvables. De 0F30 qu'il était en 1914, le lait monte à 0F50 puis 0F60. La viande de boucherie se paie 3 puis 3F50 .... Les porcelets sont à 110F pièce, les vaches 800, 900, 100F; le poisson bien qu'ayant doublé de prix reste encore bon marché de 50% moins cher que la viande, mais il n'y a que 3 ou 4 pêcheurs.

Les propos défaitistes tendent à rabaisser le moral. Les quêtes faites dans les écoles pour les oeuvres de guerre et dans le public depuis le début de la guerre ont été fructueuses et Bréhat s'est signalée comme l'une des communes les plus généreuses du département. L'emprunt a réussi - la souscription dépasse de beaucoup 250 000F.

1918

La popularité de M. Clémenceau continue à grandir depuis le jour où il a pris le pouvoir. On admire unanimement sa haute intelligence, son énergie, sa verdeur, son patriotisme. On se plaît à reconnaître en lui un de ces hommes providentiels qui apparaissent dans les grandes crises de la France.Le continuateur de Jeanne d'Arc, de Danton, de Carnot et de Gambetta. Égale admiration pour le général Foch.

11 novembre 1918
La nouvelle de l'armistice cause dans la population une grande joie et une déception à la fois. On aurait voulu que nos armées envahissent l'Allemagne. Ordre préfectoral transmis par le maire de congédier les élèves. En guise de réjouissance les gens laissant leur travail, car la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre, accourent vers la place du bourg. Des gens s'embrassent, les coeurs battant d'émotion, le curé part chanter le Te Deum, un cortège nombreux se forme au dehors se dirige vers le Nord d'abord, vers le Sud ensuite, drapeau déployé en chantant la Marseillaise. On fabrique un mannequin ressemblant à s'y méprendre à Guillaume II. Le soir on le promène, on le fusille, des allocutions de circonstances sont prononcées, on crie : Vive Clémenceau, Vive Foch, c'est du délire patriotique.

Bréhatins morts pour la patrie

Identité Décédé le Localité
HERTEAUX Yves 26 octobre 1914 Mer de Chine
BOCHER Arthur 15 mars 1915 La Selouse
LE GUEN François 18 mars 1915 Aux Dardanelles
NICOLAS Alain 4 septembre 1915 Casablanca (Maroc)
FLOURY Eugène 27 septembre 1915 Mer du Nord
TRICHET Jean 23 novembre 1915 Steenvoorde (Nord)
DRILLET Édouard 7 octobre 1915 Corfou
LE DAIGRE Pierre 31 décembre 1916 Milo
LE MONNIER Francis 1er février 1917 Verdun (Cote 304)
LE CAM Louis 8 juin 1917 Méditerranée
LORGERÉ Constant 10 novembre 1914 Belgique
PRIGENT Charles 27 septembre 1915 Souain (Marne)
MORDELÈS Arsène 10 avril 1916 Génicourt (Meuse)
VEROUX Léon Septembre 1916 Hem (Somme)
SAVEROU Charles
BOCHER François
LEFF Yves
1918 École des mousses à Brest
par suite de maladie


  • Maurice SCHNEIDER )
  • René SCHNEIDER ) Anciens élèves de mon école également, ont reçu de nombreuses citations et croix de guerre
  • VENDEUIL Robert ) et ont été promus sous-lieutenants après des actions d'éclat.

A Bréhat, le 26 juillet 1919
Signé : Le Jort

Sources


--Jylaigre (discussion) 9 janvier 2014 à 19:15 (CET)

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